Menu

  Retour à la Citadelle

 

 

 

Prologue

 

 

"Hael hlystan ansyn Jaëran aefre geswican"

 

Voilà ce qui est inscrit sur la tombe. Juste ces quelques runes elfiques. Il pleut sur le cimetière de Vesper, le cri strident des goélands se mêle à l'odeur salée des varechs; la campagne entière semble s'être éteinte alors que je contemple d'un œil morne ce marbre gris qui m'a fait voyager  jusqu'ici depuis le Repaire des Boucaniers. Alors que de lourdes gouttes de pluies viennent mollement s'affaisser sur le sol qui perd de sa substance au fil des minutes, je reste là, interdit, à contempler ce simple tombeau qui m'apparaissait, quelques jours avant, comme le but inavouable d'une quête qui aurait duré toute ma vie.

 

Le tombeau de mon père. Valen Jaëran.

 

Et lorsque je contemple cette triste lande, cet océan de lierre qui envahit les moindres recoins des pierres, je me mets à penser que ma quête est achevée. "Va, va à Vesper; c'est là que Valen passe le plus clair de son temps, quand il ne court pas après ses chimères, à vouloir amasser tous les trésors et les pierreries de Britannia…" On m'a dit que mon père était une légende, un homme truculent et instable qui avait parcouru le monde entier et qui avait bu dans toutes les tavernes. Il est malheureux à dire que la légende est morte et qu'elle gît désormais à mes pieds. Devant l'impérieux désir qui s'était emparé de moi dès mon plus jeune âge, celui de connaître mon légendaire géniteur, mes compagnons m'avaient conseillé d'arpenter le monde à la recherche de ce baroudeur insaisissable. Et maintenant me voilà, anéanti devant cette macabre découverte, me résignant à m'en retourner dans un lieu quelconque, peut-être à Nujelm ou bien à Jhelom…

 

« Eh ben, gamin ? Ca n’a pas l'air d'aller… »

 

Une voix surgit. Je ne pensais pas qu'une âme sensée irait vagabonder près de ce lieu sordide, et je me retourne, plein d'étonnement. Personne. Ce n'est qu'en baissant les yeux que j'aperçois un gnome, un vieillard à la peau mâte et sèche qui me regarde d'un air amusé.

 

« On dirait bien que tu à l'air déçu en voyant l'tombeau du vieux Valen…Ca fait bien vingt ans, et trois lunes si je ne m'abuse, qu'la Terreur des Taverne a passé l'arme à gauche…Tu es l'un d'eux, n'est-ce pas ? »

 

« L'un deux ? Je ne vois pas où tu veux en venir, minuscule créature… »

 

« Ben voyons… » (il toussote, crache et sort de l'herbe pour bourrer une vieille pipe noircie) « Ta mère ne t'a jamais conté l'extraordinaire, la grandissime et mirifique histoire de ton père et de ses conquêtes ?" (Il ricane) "Je vois bien à ton air étonné que j'en sais plus que toi sur Valen Jaëran…Suis moi à la taverne, tu es d'accord ? Je vais t'en conter de belles, pour peu que tu me payes un beau broc de bière d'orque, bien sûr…A propos, quel est ton nom ? »

 

« Je m'appelle Anselme Jaëran. »

 

 

---

 

 

Chapitre prime

 

 

Cette auberge où le gnome m'a mené est pittoresque et accueillante, bien que le chahut des marins qui se mêle aux divagations des ivrognes crée une ambiance qui ne se prête guère à la discussion. Faisant fi de cela, mon compagnon me jette sur une chaise, dans un coin de la salle; un endroit relativement calme, si l'on n'est pas offusqué par le suintement des murs et par l'odeur âcre qui se dégage des cuisines. On s'assoit, on commande un tonnelet. Je me mets alors à dévisager le vieil hère qui m'a conduit jusqu'ici. D'où connaît-il Valen ? A t-il des réponses à mes questions ?

 

« Bien ! Fameuse cette bière ! Tu ne bois pas, petit ? »

 

« … »

 

« Mmmhh…ton air anxieux me fait dire que tu cherches à savoir ce que je peux t'apporter, n'est-ce pas ? Eh bien pas grand-chose, seulement des contes et des histoires sur cet homme et ses nombreux enfants… »

 

« Ses nombreux enf…?! »

 

« Laisse moi donc commencer, Anselme, fils de Valen ! Laisse moi te raconter ce que fut ton père…enfin...ce que je sais de lui…La première fois qu'on aperçut Valen Jaëran sur Britannia, ce fut à Jhelom.  C'était un illusionniste qui s'était forgé une solide réputation dans cette ville de guerrier, car il était capable d'en découdre avec les bretteurs les plus habiles dans un duel d'escrime. En fait, c'était un touche-à-tout qui gagnait bien sa vie, vendant quelquefois des enchantements, concoctant des potions à l'occasion…ou bien en remportant des duels sanglants sur le pont des navires, lors de paris osés. Ce fut justement un pari qui le perdit. Il avait provoqué un noble du continent, un notable de Yew je crois, lors d'une soirée mondaine où il avait été convié. Ce fut une cuisante défaite pour le Lord, car on ne terrasse pas un épéiste de Jhelom aussi facilement ! Cependant, ce dernier ne l'entendit pas de cette oreille, et il fit saccager et brûler le magasin d'alchimie de ton père, qui dut s'enfuir par la première barque qui lui tomba sous la main. Ainsi commença une vie de bohème, de magie et de duels, car Valen ne s'arrêta pas à cette malheureuse expérience. Il ne cessait de répéter qu'un bon mot valait bien un nouvel ennemi, et il fut de ce fait chassé de la plupart des villes du continent. Il trouva son public et ses admirateurs, bien sûr : nombre de jeunes gens étaient fascinés par ce chasseur de trésors éminemment sympathique, même s'il ne respectait pas toujours les huit vertus pour arriver à ses fins. L'on dit qu'il a visité toutes les terres du mon… »

 

« Et ma mère ? Quel rôle joue-t-elle là-dedans ? Quand Valen et elle se sont-ils connus ? »

 

« Ahahahaha ! Il faut que tu saches quelque chose, jeune homme ! Valen n'était pas seulement la plus fine lame, le plus effronté, le plus insolent des hommes de ce coté-ci de Britannia ! Il était aussi le plus grand séducteur de l'archipel de Moonglow ! Le plus galant des galants des forêts de Skara Brae ! On dit qu'à chacune de ses escales, il prenait une femme, une roturière ou une femme de condition, mais toujours très séduisante, et qu'ils passaient la nuit ensemble. Le propos peut choquer les chastes pucelles de Britain, mais on peut dire que cet homme a laissé une sacrée descendance derrière lui ! »

 

« Tu insinues que…j'ai des demi-frères ou sœurs ? »

 

« Oui-da, m'sieur ! Et je dis même que vous devez former une sacrée fratrie, vu les nombreuses escapades de Valen ! Mais tout cela l'a épuisé, il faut bien l'avouer. Bien qu'il voyagea encore un peu, il s'établit à Vesper et attendit sereinement ses vieux jours. »

 

« Comment est-il mort ? N'a t-il pas recherché ses enfants ? »

 

« Ses enfants ? Cela peut être cruel à entendre, mais pour un homme tel que lui, la famille devait être une notion qui lui échappait. Il ne concevait l'aventure que seul, et ne devait songer à la marmaille que peu souvent ! Quant à sa mort, eh bien, comme tu dois t'en douter, il périt lors d'un duel contre un inconnu…un certain Jawn. Un soldat de l'armée de Kelt, qui était rompu au maniement de la lame, qui ne fit qu'une bouchée de Valen et qui le décapita. Triste, n'est-ce pas ? Je suis désolé pour toi…Mais maintenant c'est à toi de me faire des confidences ! Raconte à un barde gnome ton histoire ! Tout récit est intéressant pour moi ! Allez le p'tit, raconte comment tu t'es retrouvé dans ce cimetière ! »

 

 

---

 

 

Chapitre second

 

 

Devant l'insistance du barde gnome, je ne puis que m'exécuter, d'autant plus que grâce à ce dernier, j'en sais enfin un peu plus sur mes origines, et sur ce qu'était mon père. Alors que mon compère, bien calé dans son fauteuil et entamant un nouveau verre de bière, attend patiemment que je débute, je ferme mes yeux, je hume les parfums salés qu'exhale le port de Vesper tout en me remémorant les premiers instants de ma dure enfance…Ce parfum…oui...c'est le parfum…c'est celui de Nujel'm…la cité d'où je viens.

 

 

 

 

« Pour peu que je m'en souvienne, j'ai grandi dans les faubourgs pauvres de Nujel'm, dans une petite communauté installée aux portes du désert. Ma mère travaillait au centre de la cité, pour les riches bourgeois qui venaient de Vesper, de Britain ou de Trinsic…Maintenant que j'y repense, c'est là qu'elle a du rencontrer Valen. Je ne m'attarderai pas, compagnon, sur mon enfance, qui est faite d'errances dans des rues sales et poussiéreuses, où l'on se confrontait à des marées humaines où se mêlaient marchands, voleurs, gardes et pêcheurs. Ma véritable histoire débute lorsque feu ma mère succomba à une terrible et mystérieuse maladie qui semblait provenir des dunes, telle une malédiction. N'ayant jamais connu mon père, je m'embarquais, seul - sur les conseils d'un ami - vers la grandiose cité de Moonglow. On me disait que là-bas, je pourrais certainement trouver des maîtres qui me formeraient et feraient de moi un homme apte à subvenir à ses propres besoins. Alors que je voguais vers la cité aux murailles pourpres, je priais intérieurement Liloë, déesse des Fêtes et de l'Amour, qui avait toujours soutenu notre famille. Ce n'est qu'à travers la fête et l'amitié, en effet, que nous trouvions la force d'accepter notre pauvreté.

 

Je suis resté cinq ans à Moonglow. Cinq années durant lesquelles j'appris le métier de la navigation, le maniement des armes blanches et quelques rudiments d'arcanes. Une intense amitié naquit entre moi et mes deux mentors, deux frères nains qui me prirent sous leurs ailes dès mon arrivée. Caaladfwch Korbag m'enseigna la magie et l'importance des huit vertus qui régissaient le monde, tandis que Fgulfwch Korbag me mit un sabre entre les mains. Cinq ans plus tard, je m'en servais fort bien. Les deux frères m'exhortèrent alors à découvrir le monde ; ils m'offrirent pour cela une magnifique lame, chef-d'œuvre de l'art ferronnier nain : Claire-Obscure était son nom, elle était faite de jais et d'ivoire. La lame devait être magique, mais je laissais ces considérations à plus tard pour me concentrer sur ma quête : voguer à travers les Mers de Sosaria pour tenter de retrouver Valen. Valen. Le dernier mot que ma mère prononça.

 

Ainsi tu sais tout, cher gnome. De Yew jusqu'à Magencia j'ai entendu parler de Valen Jaëran, partout les chansons contaient sa geste, mais ce n'est qu'aujourd'hui - jour ô combien funeste, que je l'ai retrouvé. Maintenant, dis-tu ? Bah, je vais sûrement revenir en ma douce Moonglow pour y écouler le reste de mes jours…Après tout, qu'est-ce qu'un bâtard pourrait faire de grand en ce monde ? »

 

…un bâtard…

 

 

---

 

 

Epilogue

 

 

« Tu te trompes. »

 

Le gnome avait soudainement levé sa petite tête trapue, et me dévisageait d'un air grave, ses yeux presque impalpables derrière le verre de ses lunettes.

 

« Tu te trompes lorsque tu dis que tu vas abandonner tes voyages, tu te trompes lorsque tu décrètes qu'un homme tel que toi ne peut rien faire de grand en ce monde. Sais-tu ce que signifient les runes elfiques gravées sur la tombe de feu Valen Jaëran ? Je vais te le dire. Cela signifie : Il est grand le Jaëran qui possède toutes les richesses du monde, mais il n'est rien s'il ne possède la plus précieuse de toute, l'amour de ses proches. Vois-tu p'tit gars, ton père priait lui aussi Liloë, et c'est lui qui a demandé qu'on grave ces runes. Si tu veux mon humble avis, il ne te reste qu'une seule chose à faire sur Britannia, c'est de parcourir le monde à la recherche de tes pairs, bâtards eux aussi abandonné à cause de la fantaisie d'un homme trop libre pour être attaché, trop fou pour faire comme les autres hommes. Sais-tu ce que j'ai entendu ? Un homme vient de passer dans ma boutique il y a une semaine. Il habitait Trinsic, et était de passage dans notre bonne ville de Vesper. Je crois qu'il cherchait la même chose que toi. Devine quel était son nom ? Il s'appelait Ellyr Jaëran. Et que…hé ! Mais où pars tu comme ça ? »

 

« Je prends le premier navire pour Trinsic. »

 

 

 

 

(Anselme Jaëran acheva sa quête et retrouva la plupart de ses demi-frères et sœurs. Ellyr et lui rejoignirent Valen dans les légendes britanniennes en menant une vie d’aventure à travers le vaste monde, jusqu’à devenir les plus fervents défenseurs de la couronne en se plaçant sous la bannière de l’Ordre des Chevaliers de Vertu dirigé par le grand paladin Al Von Tyr Octos. Anselme Jaëran trouva une mort héroïque lors d’un combat contre un dragon de givre qui s’était attaqué au krak de son ordre. Ses cendres furent éparpillées dans la Mer de Cristal, au large de Nujel’m.)

Retour