
"Gloria Patri
et Filio |
Et Spiritui Sancto |
Sicut erat in
principio |
Et nunc et semper |
In saecula
saeculorum." |
Première
partie
« Mais
qui c'est, elle ? »
C'était
l'heure des vêpres, et sur la place de Tintagel, tout le
monde s'affairait. Près des écuries, les forgerons
discutaient, d'un air terrible et enjoué à la fois, des
tarifs pratiqués par la guilde. Les vilains rentraient des
champs, les clercs déambulaient dans la cité. Tout ce
petit monde s'agitait alors que la nuit s'apprêtait à
tomber sur la Carmélide. Le froid raidissant mes mains, je
me mis à serrer de plus belle mon luth et je m'apprêtai à
partir vers l'auberge, lorsque le badaud réitéra sa
question.
« Alors,
qui c'est c'te femme qui vient d'foutre à terre le p'tit du
Mathieu ? »
Devant
moi se dressait un paysan trapu et peu avenant. Sous l'épaisse
couche de crasse qui parsemait ses haillons, je percevais un
grand étonnement, car il aurait fallu un événement tout
à fait singulier pour qu'un gueux de Cornouailles vienne
briser son train de vie quotidien et s'adresse au ménestrel
que j'étais. Mais ce qui venait de se passer sous nos yeux
n'était pas vraiment un fait ordinaire.
Je
me présente, je suis Caradoc d'Avalon, pour vous servir. Je
m'étendrai peu sur les détails de ma vie, puisque peu de
personnes doivent s'intéresser à une homme de musique dans
mon genre. Non, non, laissez moi plutôt vous conter
l'histoire d'une femme que j'ai connue récemment, celle de
ma bonne amie Clélia, religieuse au couvent du Malepas.
Laissez moi vous la conter comme je l'ai fait pour ce paysan
sur les chemins de Tintagel. Peut-être ces quelques lignes
jetées sur un parchemin vous donneront-elles envie de la
croiser, un jour, sur les chemins de la douce Albion…
Oui,
elle était peu ordinaire la scène qui venait de se dérouler
sur la place du village ! Le litige avait pour objet un
recrutement, car en ces temps de troubles et
d'obscurantisme, des armées se levaient. Des armées de
toutes sortes. Des mercenaires œuvrant dans l'ombre aux
sorciers étudiant des grimoires en prévision
d'affrontements sanglants, tout le monde se résignait à
repousser les attaques des Saxons, qui se faisaient toujours
plus pressantes, toujours plus brutales, toujours plus
nombreuses. Heureusement qu'Arthur éclairait nos landes
menacées de la lueur d'Excalibur, car sans lui, Albion ne
serait déjà plus. Toujours est-il que s’il était une
armée dont la ferveur et l'âpreté dans la lutte était
sans égale, c'était bien le corps martial de l'Eglise Chrétienne.
C'était déjà, à l'époque, une sainte milice basée à
Camelot, dont la foi des membres n'était plus à démontrer.
En ce dixième mois de l'année, elle s'affairait à
repousser l'avancée des invasions ennemies dans la plaine
de Salisbury. La situation était périlleuse ; il fallait
recruter. Et c'est ainsi que dans toutes les bourgades du
royaume d'Arthur, les jeunes gens désireux de servir leur
Dieu étaient invités à s'enrôler. Quête de gloire,
assurance d'une vie éternelle, tout était prétexte pour
combattre - et peut-être finir sa vie - sous les bannières
de la Sainte-Croix.
Et
c'est sûrement par jalousie que le fils du Mathieu - un
paysan notable, ici, à ce qu'il paraissait - se mit à
quereller la jeune femme qui voyageait avec moi. Celui-ci,
d'après ce que j'avais compris, n'avait pu supporter l'idée
que Clélia fut enrôlée à sa place. Dégingandé, le
teint rougeaud et sinistre, il la menaçait de son poing,
arguant qu'une femelle n'avait pas sa place dans une armée.
Malheureuse parole pour ce vilain, car il n'en fallut pas
plus pour qu'il se retrouvât à terre, terrassé par la
religieuse, et ce, devant une foule qui s'accumulait auprès
du parvis de l'église, éberluée.
« Cette
femme, mon bon, c'est Clélia. Clélia, que j'ai rencontrée
il y a de cela 3 lunes, Clélia qui débarque, comme ça,
pour mettre son bras au service d'Albion. Cela vous intéresserait-il,
mon brave, que je vous conte l'histoire de sa vie ? Si bien
sûr vous n'avez rien d'autre à faire qu'écouter les
paroles d'un vieux troubadour décati….Nous pourrions nous
asseoir sur cette souche d'arbre mort, le temps que les
affaires se calment, là-bas… »
« C'est-y
point d'refus. »

Seconde
partie
Entre
le grand dadais esbaudi sur la place et ma brave Clélia qui
avait démontré avec panache que les moniales étaient loin
d’être inutiles dans la milice de Dieu, l'agitation était
à son comble. Vraiment, cela faisait du bien de prendre un
peu de repos, après cette marche éreintante depuis la
Lyonnesse, et ce, en compagnie d'un homme avide d'histoire !
Sûrement voulait-il s'en souvenir pour la conter à sa
femme et ses enfants, dans ses vieux jours…Toujours est-il
qu'il m'interrogeait déjà du regard, tout en jetant
prudemment un coup d'œil sur les moines, de temps à autre.
Bien
! Il est temps d'écouter le vieux Caradoc, car sa langue a
hâte de se délier à propos de la femme que vous voyez là-bas
! Je vous présente Clélia, ou plutôt Kathryn. Kathryn
MacLlane de son vrai nom, même si elle-même n'est pas
certaine de la véracité de celui-ci. Sachez, mon brave,
que si sa foi n'a d'égale que sa petitesse, Kathryn est
pourtant née en Ecosse, dans la cité de Perth. Et pour son
malheur - ou peut-être pas - elle était la seule héritière
du clan des MacLlane, le plus puissant des Highlands à l'époque.
Imaginez ! Imaginez ce peuple rude…et imaginez la famille
la plus rude de celui-ci…et vous comprendrez la déception
d'Angus MacLlane, lui qui attendait un gaillard vigoureux,
lorsqu'on lui a annoncé que sa femme avait donné naissance
à une fille maigre et chétive ! Eh bien, au risque de vous
choquer, je vous annonce qu'on trouva rapidement une
solution peu honorable. On abandonna la fillette à la première
caravane de marchands venue ; et les marchands eux-mêmes ne
purent faire mieux que de laisser l'enfant sur le parvis
d'un petit couvent bâti près d'un gué. Ah ! Il faut que
je vous en parle, de ce couvent, car c'est pratiquement tout
ce qu'a connu Kathryn. On l'appelait le Couvent du Malepas,
car on il avait été construit près de l'endroit où, il y
a de cela quelques années, le preux Tristan avait
vaillamment combattu pour l'honneur d'Yseult la Blonde, dans
cette lande triste et sale où s'écoulait un petit
ruisseau.
Commencèrent
des années faites d'études et de prières pour l'enfant -
qui fut rebaptisée Clélia par les sœurs - entre la
sacristie et la salle de prières, entre les champs et la
bibliothèque. C'est justement dans cette bibliothèque que
la jeune fille passait le plus clair de son temps, attirée
très tôt par le parfum étrange du papier et l'éclat
fascinant des enluminures. Formée au latin, elle promit aux
sœurs de faire triompher l'influence du Tout-Puissant et d'étendre
Son domaine sur les terres impies qui bordaient Albion.

C'est
ainsi que s'écoulèrent dix-huit années, dans la douce quiétude
des murs de pierre du couvent, entre les prières, l'étude
accrue des peuples voisins, et l'apprentissage du maniement
du bâton - mais cela, les sœurs ne le surent jamais. Clélia,
bien que pieuse, était caractérisée par un pragmatisme étonnant,
et elle ne pouvait se résoudre à glorifier le seigneur
devant un autel. En tous les cas, pas toute sa vie. Répandre
la Parole à travers la Cornouailles, et même au-delà, là
était son but. Vous comprenez maintenant le pourquoi de sa
venue ici ?
« J'pense
ben, l'barde. C'tait
une ben belle histouère, rare comme pas deux ! Mais
j'devions vous laisser, y'a la Marie qu'attend pouère le
souper… »
« A
votre guise, à votre guise…alors à la revoyure, l'ami… »
Je
voyais déjà Clélia revenir vers moi, pourvue d'une veste
de cuir capitonnée laissée par les officiers de la Milice
de Dieu. Et c'est le lendemain que je la laissais à sa
destinée, et elle à la mienne, car nous nous sommes séparés
au détour d'un chemin, alors qu'elle se rendait à Fort
Prydwen. C'est la dernière fois que je l'ai vue…
Épilogue
(Clélia
remporta un franc succès sur les champs de bataille, et
elle fut vite remarquée par Sire Leodegrance de Caméliard,
chevalier d’Albion. Ce dernier la convainquit de rejoindre
l’Ordre de la Flamme, le plus fameux regroupement des
guerriers de Dieu sur terre. Sous le commandement éclairé
d’Uyness de Waverly, paladin du temple de Camelot, Clélia
se battit en Angleterre, en Ecosse, et même au-delà.
C’est d’ailleurs en mission que la jeune femme disparut :
envoyée sur les terres scandinaves pour étudier les mœurs
des barbares et les évangéliser, elle fit une rencontre
contrariée avec une bande de trolls de la forêt de Myrk.
Elle fut longtemps pleurée par ses compagnons de l’Ordre.)
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